Silence Screams

Silence screams d’Alessio Orrù évoque l’oxymore bien connu du silence assourdissant : un silence si profond et si lourd qu’il en devient étourdissant et agit comme un vacarme. Ici, ce sont les cris du silence qui sont bruyants, inévitables. Il s’agit ici de l’être qui crie, qui se crie et qui essaie de se faire comprendre par le reste du monde, silencieux.
Dans ce travail réalisé au stylo bille bleu à l’été 2021, l’artiste sarde donne à voir la matérialisation de l’enjeu principal de chaque être humain : comment assimiler et rendre compte. Comment, dans un double mouvement complexe, nous ingérons et construisons des structures complexes, et comment nous transcrivons cet univers protéiforme fugace autour de nous et en nous, qui s’évapore aussi vite qu’il est appréhendé.

L’œuvre est composée en quadryptique dont les panneaux sont interchangeables : tantôt les personnages s’affrontent, tantôt ils sont dos à dos. Dans une autre version, ils peuvent également observer le chaos central les séparant, ou bien lui tourner le dos. L’œuvre est conçue autour d’une ligne de tension centrale, où se rencontrent les éructations des deux personnages, ou bien où se fracassent les chaos. Un peu à la manière des colosses qui soutiennent le monde, ces visages peuvent se faire face en grimaçant et en expulsant dans une sorte de cri, voire de hurlement, un imbroglio de formes aiguës et courbes. A l’arrière de leur crâne, comme vissées à l’os, les mêmes formes partent en chevelure ciselée et enchevêtrée, comme si elles étaient faites de métal et de cristaux. Ce mélange de formes n’est pas sans rappeler des architectures utopiques, sans haut ni bas, sans logique ou pesanteur. Les formes s’imbriquent, se démultiplient et colonisent le moindre espace libre. Les personnages se partagent le peu d’espace restant.
Les visages sont tendus et arc-boutés, cisaillés et modelés avec vigueur. La cambrure du cou est exagérée et l’ouverture de la bouche paraît antinaturelle. Tel un rugissement, ils ouvrent grand leur bouche comme un passage à double flux. Les yeux plissés traduisent la tension du visage et toute la force mobilisée pour que cette entrée/sortie soit la plus béante possible.
L’artiste crayonne nerveusement les formes, les taille comme s’il s’agissait d’une sculpture, avec vitesse et précision. Cette exécution rapide et vigoureuse sert le propos d’Alessio Orrù : nous sommes sans cesse traversé-e-s par nos pensées, nos émotions, notre énergie vitale.
Elles passent et disparaissent, dans le néant.
Dans le silence.
Texte : Hélène Pinon